Le Plafond de Verre
Le plafond de verre: Quand l’invisible façonne ta trajectoire
Une exploration lucide des mécanismes invisibles qui entravent la progression des femmes vers les postes de pouvoir.
Introduction
Le plafond de verre ne se voit pas. Il ne fait pas de bruit. Il ne s’impose pas frontalement. Et pourtant, il conditionne silencieusement des milliers de trajectoires professionnelles féminines, année après année.
Il ne s’agit ni d’un décret, ni d’une loi, ni d’un interdit explicite. Il s’agit d’un ensemble de mécanismes diffus, d’obstacles informels, de jugements implicites qui freinent l’accès des femmes aux postes à haute responsabilité. Des obstacles d’autant plus puissants qu’ils sont souvent niés — y compris par celles et ceux qui en subissent ou en reproduisent les effets.
Alors que les politiques d’égalité affichent des intentions louables, les chiffres, eux, continuent de parler un langage sans détour. Ils montrent que les femmes sont bel et bien présentes dans le monde professionnel, parfois même majoritaires dans certaines filières. Mais plus on s’approche du pouvoir décisionnel, plus leur présence s’amenuise. Le plafond de verre ne bloque pas l’entrée : il limite l’ascension.
Ce phénomène, structurel et systémique, mérite d’être nommé, analysé et rendu visible. Car l’invisibilité est précisément l’un de ses ressorts les plus efficaces.
1. Des chiffres qui dérangent
En Belgique
En Belgique, les femmes occupent 38,8 % des postes de cadres supérieurs dans les grandes entreprises cotées en bourse en 2023 (indicators.be). Ce chiffre semble encourageant, jusqu’à ce qu’on regarde de plus près. Car lorsqu’il s’agit de pouvoir exécutif — là où les décisions stratégiques se prennent — la proportion chute brutalement : seulement 14,8 % des membres des comités de direction sont des femmes (igvm-iefh.belgium.be). Le verre se fait plus épais à mesure que l’on monte.
Et lorsque l’on atteint le sommet ? Le constat devient brutal : seulement 4,7 % des CEO des entreprises cotées en bourse en Belgique sont des femmes en 2023, selon les derniers chiffres de l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes (IEFH). Un chiffre en stagnation depuis plusieurs années. Au sein du BEL 20, l’indice des 20 plus grandes entreprises belges, une seule entreprise est dirigée par une femme (Statbel, 2023). La façade est belle, mais la structure reste inchangée.
Seule exception : les conseils d’administration. Grâce aux quotas, leur part grimpe à 46 %, mais là encore, avoir un siège au conseil, ce n’est pas diriger. C’est souvent… observer.
En France
En France, les dynamiques sont similaires. Les femmes représentent 37 % des cadres dans le secteur privé — un chiffre qui stagne depuis plusieurs années (Baromètre de l’égalité femmes-hommes 2023, Haut Conseil à l’Égalité). Parmi les dirigeant·es d’entreprise, elles sont 25 % toutes tailles confondues, mais tombent à 17 % lorsqu’on parle des grandes entreprises et des ETI (ibid.).
Dans les très 40 plus grandes entreprises françaises cotées en Bourse (CAC 40), les chiffres sont sans appel : 20,37 % des postes dans les comités exécutifs sont occupés par des femmes, et elles ne représentent que 2,5 % des PDG ou directrices générales (ibid.). Le pouvoir reste un territoire largement masculin.
Seule exception : les conseils d’administration. Grâce à la loi Copé-Zimmermann de 2011, qui impose un quota de 40 % de femmes, 46 % des administrateurs du CAC 40 sont aujourd’hui des femmes (Rapport 2023 de la Fondation des femmes). La preuve que quand la loi agit, les lignes bougent. Mais là encore : avoir un siège au conseil, ce n’est pas diriger. C’est souvent… observer.
Alors non, les chiffres ne mentent pas. Ils éclairent ce que beaucoup de femmes vivent sans toujours pouvoir le nommer : un plafond invisible, mais bien réel. Et il ne se fissure pas avec du mérite seul.
2. Des mécanismes invisibles, mais puissants
Le plafond de verre ne repose pas sur une règle écrite. Il repose sur une série de mécanismes sociaux, culturels et organisationnels profondément ancrés, que l’on pourrait presque qualifier de “naturels” tant ils sont intégrés dans les habitudes professionnelles. Ce sont ces mécanismes, souvent imperceptibles, qui freinent ou stoppent l’ascension des femmes, même lorsqu’elles possèdent toutes les compétences attendues.
Parmi eux, on retrouve d’abord la persistance des biais implicites dans l’évaluation des compétences. Dans de nombreux contextes professionnels, les hommes sont encore perçus comme plus crédibles, plus assertifs, plus naturellement “faits” pour le pouvoir. À l’inverse, les femmes sont jugées à travers un prisme ambigu : on attend d’elles qu’elles soient compétentes, mais aussi modestes ; affirmées, mais pas autoritaires ; ambitieuses, mais sans jamais paraître menaçantes. Ce double standard crée un terrain glissant, où la moindre déviation par rapport aux normes implicites du leadership peut être sanctionnée, consciemment ou non.
S’y ajoute la logique du réseau et de la cooptation, dans laquelle les postes de direction sont souvent attribués non pas uniquement sur base de compétences, mais aussi — et surtout — sur base de confiance, de proximité, de similarité culturelle. Dans des milieux historiquement masculins, cela signifie très concrètement que l’on tend à recruter… ceux qui nous ressemblent. Et que les femmes en restent écartées, non par hostilité déclarée, mais par effet d’entre-soi reproduit.
Enfin, les attentes non dites autour de la disponibilité, de la mobilité, de la flexibilité “totale” participent aussi à l’exclusion silencieuse. Le fait d’avoir des enfants, ou même simplement d’être en âge d’en avoir, continue d’être perçu comme un facteur de “risque” — ce qui ne s’applique évidemment pas de la même façon aux hommes. La maternité, réelle ou supposée, devient un critère tacite d’évaluation de la “fiabilité” managériale. Le plafond se renforce ici non pas contre les mères, mais contre tout ce qui pourrait détourner les femmes de leur rôle supposé de dévouement inconditionnel à l’entreprise.
Il n’est donc pas étonnant que beaucoup de femmes se retirent d’elles-mêmes de la course. Non par manque d’ambition, mais par épuisement, par lucidité, ou simplement pour préserver un minimum d’équilibre. Le plafond de verre n’est pas toujours un mur frontal : il agit aussi par usure.
3. Quand le plafond s’installe en soi
Le plafond de verre n’est pas seulement une construction extérieure. Il finit souvent par s’infiltrer dans les représentations que les femmes ont d’elles-mêmes. Ce processus est d’autant plus insidieux qu’il agit en silence : il ne repose pas sur une interdiction directe, mais sur un conditionnement progressif, qui façonne les aspirations, les perceptions et les choix de carrière.
De nombreuses femmes apprennent très tôt à ne pas se projeter dans les fonctions de pouvoir. Non parce qu’elles s’en sentent incapables, mais parce qu’elles ont rarement vu des femmes y être légitimes, valorisées, ou tout simplement respectées. L’absence de modèles féminins dans les sphères décisionnelles crée un vide symbolique, un espace où il devient difficile d’imaginer sa propre présence.
S’ajoute à cela une forme de surveillance intériorisée : le sentiment d’être constamment observée, évaluée, jugée selon des critères plus stricts, plus flous aussi, que ceux qui s’appliquent aux hommes. Cette hyper-vigilance permanente pousse à l’autocensure. On évite de demander, de postuler, de s’exposer. On attend d’avoir “toutes les cases cochées” avant d’oser. On doute plus facilement de sa légitimité, même lorsqu’on est objectivement compétente.
Autrement dit, le plafond de verre ne bloque pas seulement l’accès aux étages supérieurs : il colonise les étages intérieurs, ceux de la représentation de soi, de l’estime, du désir. Et dans un contexte où les femmes sont encore trop souvent renvoyées à leur rôle d’équilibre, de soutien, ou d’adaptation, il n’est pas étonnant que certaines renoncent à lever les yeux vers le sommet. Non pas par manque d’ambition, mais par fatigue d’anticiper l’obstacle.
Cette intériorisation du plafond est sans doute l’un des effets les plus puissants et les plus durables du phénomène. Car une fois qu’une femme doute de sa place, il n’est plus nécessaire de la lui retirer : elle risque de ne pas la revendiquer.
4. Les conséquences concrètes d’un plafond invisible
Le plafond de verre n’est pas un simple ralentisseur de carrière. Il a des effets profonds, durables et parfois irréversibles sur les trajectoires professionnelles, mais aussi sur la santé mentale, l’engagement au travail et la vision de soi. Il agit comme une force d’érosion, lente mais continue.
L’un des premiers effets observables est le désengagement progressif. À force de devoir prouver, justifier, redoubler d’efforts pour atteindre des postes qui, de toute façon, semblent inaccessibles, beaucoup de femmes choisissent de se retirer. Certaines refusent des promotions. D'autres quittent les grandes structures pour créer leur propre activité, là où elles peuvent enfin être décisionnaires. Ce retrait n’est pas un échec individuel : il est souvent le résultat d’un système perçu comme épuisant, opaque et injuste.
On observe aussi des phénomènes de dévalorisation professionnelle, parfois même au sein des équipes. Une femme qui dirige est encore trop souvent perçue comme “l’exception”, voire comme une anomalie tolérée. Sa position reste instable, son autorité plus contestée, son expertise plus facilement remise en question. Cette instabilité symbolique crée un climat de vigilance permanente, qui puise dans l’énergie, la confiance et l’élan.
Le plafond de verre alimente également une sous-représentation chronique des femmes dans les cercles d’influence, ce qui empêche à son tour d’ouvrir la voie à d’autres. Moins de femmes dirigeantes, c’est moins de modèles, moins de transmission, moins de marges de manœuvre pour celles qui arrivent. Le cercle est parfaitement fermé.
Enfin, il faut évoquer l’impact émotionnel, souvent passé sous silence : frustration, sentiment d’injustice, lassitude, voire colère interiorisée. Ce sont des femmes hautement qualifiées, investies, brillantes, qui finissent par se convaincre qu’elles n’ont “pas ce qu’il faut”, faute de reconnaissance à la hauteur de leur engagement. Ce décalage entre effort et légitimation peut entraîner un profond malaise existentiel, qui dépasse le simple cadre professionnel.
Le plafond de verre, en somme, ne se contente pas de bloquer des ascensions. Il abîme des vocations. Il empêche des transformations. Et il prive les organisations de talents essentiels qu’elles prétendent pourtant vouloir retenir.
5. Comment fissurer le plafond : agir sans culpabiliser
Face au plafond de verre, les réponses dominantes oscillent souvent entre deux extrêmes : d’un côté, des appels à l’individualisme méritocratique – “osez, affirmez-vous, prenez votre place” – ; de l’autre, un fatalisme désabusé – “c’est comme ça, on ne changera pas le système”. Or, entre ces deux postures, il existe des pistes d’action plus subtiles, plus collectives, plus réalistes.
La première consiste à nommer clairement le phénomène. Tant que le plafond de verre reste perçu comme un vague ressenti, il ne peut pas être déconstruit. Le documenter, l’expliquer, le rendre visible à travers des chiffres, des récits, des analyses sociologiques, permet d’en sortir la charge individuelle. Ce n’est pas une fragilité personnelle. C’est un système structurant.
Il est également nécessaire de penser l’action au niveau des organisations. Mettre en place des indicateurs sexués sur les promotions, les augmentations, les responsabilités attribuées, c’est créer les conditions d’un suivi objectif. Les entreprises doivent apprendre à questionner leurs propres filtres, à rendre leurs processus de sélection et d’évaluation plus transparents, et à créer des environnements où les compétences féminines sont non seulement reconnues, mais soutenues.
Les politiques de quotas, souvent décriées, ont prouvé leur efficacité dans certains domaines, notamment dans les conseils d’administration. Elles ne règlent pas tout, mais elles créent un point d’entrée, un effet de seuil, une dynamique de transformation. Là où la bonne volonté ne suffit pas, l’obligation structurelle peut être un levier utile — temporairement mais stratégiquement.
Sur le plan individuel, il ne s’agit pas de faire porter toute la responsabilité aux femmes. Mais il est précieux de pouvoir se reconnecter à sa légitimité, de prendre conscience des mécanismes intériorisés, de se faire accompagner si nécessaire, et surtout de s’entourer d’alliées. La sororité professionnelle ne devrait pas être un luxe : elle est une ressource précieuse pour tenir bon, se renforcer, et parfois, oser viser plus haut.
Enfin, repenser les formes de pouvoir est peut-être l’un des chantiers les plus radicaux. Tant que l’exercice du pouvoir reste associé à la domination, à l’autorité verticale, à l’invisibilisation des émotions et des fragilités, il continuera d’exclure celles et ceux qui incarnent d’autres manières de faire. Changer le pouvoir, ce n’est pas seulement y faire entrer des femmes. C’est questionner les logiques mêmes qui le structurent.
Conclusion : Ce que l’on ne voit pas continue d’agir
Le plafond de verre n’est pas un mythe. Ce n’est pas une exagération militante ni une excuse commode. C’est une réalité structurelle, installée depuis longtemps, entretenue par des mécanismes puissants, souvent invisibles, et parfois intériorisés jusque dans les aspirations les plus intimes.
Il limite les trajectoires, il épuise les élans, il décourage sans jamais interdire. Et c’est précisément ce qui le rend redoutable : son efficacité réside dans sa capacité à se faire oublier tout en maintenant l’ordre établi.
Mais le nommer, l’expliquer, le rendre visible, c’est déjà le fissurer.
Car ce qui fait système peut être désappris. Ce qui s’est construit peut être déconstruit. Et ce qui a été longtemps perçu comme une fatalité peut devenir le point de départ d’un autre récit.
Il ne suffit pas de dire aux femmes de croire en elles. Il faut aussi transformer les cadres, les règles, les imaginaires dans lesquels elles évoluent. Il faut des mesures concrètes, des espaces de soutien, des formes de leadership plus inclusives, plus éthiques, plus vivables.
Dénoncer le plafond de verre, ce n’est pas revendiquer une place dans un monde inchangé. C’est exiger qu’on redéfinisse les hauteurs.
Je suis Hakima , fondatrice d’ATYPIK WOMEN.
Sociologue du Travail, Consultante en Communication & Ressources Humaines, Experte Genre & Diversité, Créatrice de contenus, Formatrice et Femme engagée pour une société plus juste, plus lucide et plus libre.
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